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46 On aurait pu souhaiter que les praticiens en contact direct avec les patients soient invités dans la conception du scénario de déconfinement, que certains moyens de protection soient plus facilement mis à disposition. Cela a pu provoquer des déceptions qui ont démobilisé les enfants comme les acteurs du soin. Parmi les conséquences néfastes de cette période, celles figurant au titre d’un effet «post traumatique» assez particulier et qu’on peut craindre durable, voire en cours de chronicisation. L’effet de surprise, la confrontation à une situation inédite dans l’histoire contemporaine et pour laquelle aucune représentation préexistante ne pouvait préparer les psychismes; la présence sourde et parfois palpable du risque de mort réelle; la réactivation des fantasmes de «contamination» dans lesquels je peux m’imaginer tour à tour persécuté ou persécuteur; la privation soudaine de multiples libertés; l’assignation à résidence au sein d’un groupe familial que l’on peut craindre toxique dans certains cas; le renvoi à l’isolement social dans d’autres; l’absence totale de certitudes quant à la date d’un retour à la normale, et le sentiment d’inutilité de toute projection personnelle… Tous les ingrédients ont été réunis pour donner lieu à une réaction de stress post-traumatique assez classique et bien connue des spécialistes de la clinique du traumatisme, de la médecine de guerre ou d’autres situations de crise. Toutefois, l’épidémie de Covid-19 et les mesures de confinement ayant concerné à peu près toute l’humanité, cette réunion autour d’un même phénomène a certainement pu constituer une compensation contra- traumatique, notamment grâce aux réseaux sociaux. N’en demeure pas moins qu’il y eut parfois, du côté des enfants suivis au SESSAD, des réactions de repli et d’isolement dont l’intensité et la durée ont dépassé de très loin l’existence et l’objectivité du risque qui les avaient générées. Parfois, ces positions de repli, faisant penser au «syndrome de la cabane», sont entrées en résonance avec des problématiques psychopathologiques déjà présentes chez nos patients ou leur famille en créant des effet de recrudescences ou en les catalysant: patients inhibés, patients aux angoisses de morcellement; et aussi familles présentant d’importantes difficultés à instituer et à respecter les espaces privés individuels, un climat et des règles structurantes, des dyades mère- enfant comprenant des processus anti-séparateurs. Parfois aussi, sans que préexistent de telles tendances, certains enfants ont eu tout simplement peur. Et, comme dans une sorte d’identification à l’agresseur, certains se sont mis à «sur-jouer» et à anticiper le confinement. L’un d’entre eux n’a pas voulu sortir du tout, pendant toute la période de confinement. Une autre n’a voulu répondre à aucun coup de téléphone, qu’il s’agisse de sa maîtresse d’école ou de l’équipe du SESSAD. Du côté de la vie institutionnelle, à l’instar de ce qui se passait dans le pays, le recours aux interventions «à distance» (téléphone, visioconférence, réseaux sociaux…) a pu conduire les consciences à sous-estimer la valeur irremplaçable d’une entrevue «en présentiel». C’est l’un des risques auquel il faudra être attentif, d’autant que tous ces phénomènes nous montrent que le temps de l’évènement n’est pas le temps psychologique, et que la prédictibilité n’est pas vraiment de mise en psychopathologie, qu’il s’agisse d’un plan institutionnel, collectif ou individuel. Du point de vue individuel comme du point de vie institutionnel, nous n’en sommes peut-être qu’au temps de la «rémanence», celui de la persistance partielle, mais durable, d’un phénomène après disparition de sa cause. Michaël SERFATY Psychologue au SESSAD

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